24 ans plus tôt, en hiver.
L'enfant poussa son premier cri, encore couvert de sang et de liquide amniotique. Bien vite, il fut passé de bras en bras, sans jamais être tenu par ceux de la femme qui venait de le mettre au monde. Un homme, à l'allure sévère, s'adressa à une servante :
« Portez l'enfant à Sir John Dunn. ». Bientôt le garçon arriva entre les mains caleuses d'un homme visiblement habitué à manier des armes, qui le prit précautionneusement en disant à mi-voix :
« Alors c'est lui ... ». Il le regarda un moment, avec une certaine révérence sur le visage, puis il colla le bambin contre sa poitrine et se tourna vers la silhouette en contre-jour.
« Je prendrais soin de lui. Kendrick. Voilà ce sera Kendrick Dunn, et je promets de l'élever comme s'il était de mon sang. ». La silhouette, se dirigea vers la porte tout en répondant :
« C'est ce qu'il peut espérer de mieux. Et c'est ce qu'il y a de mieux pour le royaume également. ».
19 ans plus tôt, une nuit d’été.
Le garçonnet se réveilla en sursaut, le souffle court. Remontant la couverture jusqu’à son menton, il jeta des coups d’œil dans tous les sens dans la pièce assombrie. Il venait de faire un cauchemar, et voulait plus que tout avoir quelqu’un à ses côtés, apeuré qu’il était. Mais il n’osait aller rejoindre son père. Il savait déjà que le combattant lui dirait de se montrer courageux et de retourner dans sa chambre. Un craquement le fit sursauter et il dut se retenir de toutes ses forces pour ne pas tirer la couverture par-dessus sa tête. Soudain une silhouette éthérée fit son apparition près de lui, et lui sourit. Doucement la femme s’approcha sans le toucher, et lui murmura :
« Tutto va bene, mio amore. Tout va bien mon amour. ». Puis elle se mit à lui chanter une berceuse dans cette langue qu’il ne connaissait pas mais qui l’apaisait.
Le lendemain matin, la femme se trouvait toujours là, mais quand il voulut la toucher, sa main ne rencontra que de l’air. Un sourire triste apparut sur le visage de la forme semi-transparente, et le garçonnet ne voulait rien d’autre que lui ôter sa tristesse. Elle lui chuchota, alors qu’une nourrice, Penny, entra dans la pièce :
« Tu ne peux pas me toucher, mio amore, je ne suis pas vraiment là. ». L’enfant l’interrogea sur le même ton :
« Qui êtes-vous ? ». En réponse Penny lui demanda tout en s’affairant dans la pièce :
« Tu as dit quelque chose Kendrick ? ». L’étrange créature lui répondit, en faisant un non de la tête :
« Elle ne peut pas me voir, toi seul peut. Dis-lui que tu as seulement dit bonjour. ». Obéissant le petit garçon répondit à voix haute :
« J’ai seulement dit bonjour, mademoiselle Penny. ». Celle-ci lui répondit d’un énorme sourire, avant de lui demander s’il avait bien dormi, ce à quoi il répondit d’un vague signe de tête. Il n’avait déjà plus la servante en tête, son attention tournée vers la femme éthérée, ce dont Penny ne sembla pas se soucier. Quand à l’étonnante invitée nocturne, elle lui chuchota :
« Je suis ta mère, mais ne dit à personne que tu m’as vu ou que tu peux me parler, d’accord ? ». Le garçon allait répondre oui quand il se rappela la présence de sa nourrice, et il se contenta d’un signe de tête, qui fit sourire sa mère. Un sourire qui fit battre son cœur à tout rompre. La silhouette disparut sur un clin d’œil, mais le garçonnet n’était pas inquiet. Intuitivement, il sentait qu’elle apparaîtrait à tout moment pour lui parler s’il en avait besoin.
16 ans plus tôt, en printemps.
Un bruit de pas approchant sortit le garçon de sa discussion avec l’image désincarnée d’un autre garçon, sensiblement de son âge, qui était le fils de l’une des servantes, parait-il. Le jeune Kendrick avait fini par comprendre que les personnes immatérielles que lui seul pouvait voir étaient en réalité des morts. Pas des fantômes avec lesquels tout sorcier pouvait communiquer, mais des morts qui avait poursuivi le chemin et qui apparaissaient pour lui. La silhouette de l’enfant décédé s’évapora alors que le père de Kendrick arriva dans le jardin où ce dernier se trouvait. Le fils avait essayé auparavant d’en savoir plus sur sa mère, surtout quand il avait compris qu’elle était morte et qu’elle ne le serrerait jamais dans ses bras, mais John Dunn n’avait jamais voulu parler d’elle. Et quand le petit Kendrick, avait demandé à sa mère comment elle avait rencontré son père, ou comment elle était morte, elle était restée vague et avait vite changé de conversation. Alors il ne posait plus de questions, trop jeune pour pleinement réaliser qu’on lui cachait des choses. Pourtant il avait un don pour savoir quand on lui cachait quelque chose. Mais son don ne marchait pas sur les morts, et il ne voyait pas que peu son père, souvent envoyé au combat, le laissant à la charge des nourrices. Lorsque son père le vit, il lui fit l’un de ses rares sourires, même s’il y avait quelque chose de sérieux dans son regard :
« Kendrick, mon garçon, je te trouve enfin. Te cachais-tu ? ». Le jeune sorcier fit un signe de dénégation de la tête, et avant qu’il ne puisse parler, son père continua :
« J’ai à te parler. Tu es devenu grand maintenant, et j’ai malheureusement de moins en moins de temps à t’accorder, et j’en suis désolé. Mais notre devoir est de protéger le pays, tu te rappelles ? Dìon an crùn, air a h-uile cor. ». Alors que le baronnet s’expliquait, Kendrick entendait d’autres mots que son père ne disait pas à voix haute, des images aussi qui n’étaient pourtant pas conjurées magiquement. Le garçon connaissait le phénomène, cela lui arrivait de plus en plus, c’était ainsi qu’il savait quand on lui mentait ou non par exemple. Et pendant que son père lui parlait, Kendrick voyait des images de fumée, de feu, de sang, et de Keir, un Noir des Hébrides, que son père, dragonnier, montait au combat.
« Tu es grand maintenant, et je n’aime pas te savoir seul ici. », reprit-il,
« Aussi d’ici quelques semaines je t’emmènerai au château, pour que tu y sois page, et commence toi aussi à servir le pays. ».
Et pour que tu y rencontres ton vrai père, même si tu le sauras jamais.. Ces mots n’avaient pas été dit à voix haute, mais ils avaient été si fort dans les pensées du dragonnier, que Kendrick n’avait pu que les entendre. Il prit un air choqué sur lequel le baronnet se méprit :
« Voyons Kendrick, ne fait pas cette tête, ce ne sera pas si terrible. ». Le garçon se reprit rapidement, et fit un faux sourire à John Dunn, le premier de sa vie, mais loin d’être le dernier :
« Pardon, père. J’étais juste surpris. Je suis content d’y aller. ». Un mensonge tout simplement, mais son faux père ne le remarqua et se contenta de le prendre par l’épaule pour l’emmener dîner. En quittant le jardin, Kendrick vit furtivement la silhouette intangible de sa mère, et il se promit de l’interroger plus tard.
10 ans plus tôt, en automne.
Les rideaux tirés du fiacre permettaient de voir apparaître le château, remarquable au milieu des montagnes, de longs remparts l’entourant. Le ciel était plein d’activité, entre dragons, hippogriffes, chevaux ailés qui venaient et allaient de Poudlard. Oui, Poudlard, l’école tout juste ouverte aux sorciers du pays, désireux d’avoir la meilleure éducation possible, et surtout ouverte à tous. Enfin tous les sang-purs, mais pour beaucoup cela allait de soi. Tout ce que Kendrick avait retenu c’était qu’il avait obtenu le droit d’y aller. Sir John Dunn n’avait rien trouvé à y redire, surtout après les éloges qu’on avait fait de lui au palais royal. Si au début Kendrick avait été obnubilé par le mensonge sur sa parenté, et sur sa volonté de découvrir la vérité, il avait au fil des années appris à se rendre indispensable, et apprécié. Encore plus quand sa mère avait enfin consenti à lui dire que son père était le roi. Il avait haï devoir servir en tant que page au palais, jouer les messagers, accompagner les jeunes nobles de son âge pour les assister. Après tout, il aurait dû être à leur place ! Mais Kendrick n’était pas du genre à endurer sans rien dire, et il savait qu’exprimer la vérité et sa colère ne le mènerait à rien. Non, il avait des projets, des objectifs, et il comptait bien obtenir une place supérieure à celle qu’il a actuellement dans la société, ainsi que sa revanche contre la royauté. Un détail bien sûr, qu’il n’avait pas partagé avec le baronnet qui posait comme étant son père. Alors que le fiacre s’approchait de la porte, Kendrick glissa ses doigts entre les barreaux de la cage de Cielo, son hibou grand-duc :
« Tu verras, toi et moi on va se plaire ici. ». Il était excité et n’avait qu’une hâte : commencer enfin ses cours.
Une semaine plus tard, Kendrick était toujours dans le même état d’esprit. Certes, certains le regardaient de haut, lui le fils de baronnet, mais huit années au palais lui avaient appris à prétendre ne pas y faire attention. C’était d’autant plus facile qu’il avait pu rejoindre la maison de Salazar Serpentard, où il n’était pas le seul avec de l’ambition pour son avenir. Mieux, il semblait avoir du talent, car il se révélait bon élève, apprécié des professeurs. Cette semaine avait été la plus intéressante, instructive et exaltante de toute sa vie. Il pourrait même dire qu’il n’avait pas été aussi heureux depuis de longues années maintenant. Même s’il était là depuis peu, il se sentait comme chez lui, ayant arpenté le château de long en large, il était encore loin de le connaitre par cœur, mais il connaissait déjà tous les endroits utiles. Comme la bibliothèque, où il passait énormément de temps. Il ne s’était pas imaginer être du genre à passer le nez collé dans les livres, mais il fallait croire qu’il l’était. Même si son véritable centre d’intérêt n’avait rien d’innocent. Parce qu’il avait découvert la magie rouge, et la majorité de son temps passé dans le centre du savoir à Poudlard consistait à mettre la main sur les livres qui en parlaient, et à les lire. Son prétendu père se battait à l’épée, mais lui avait décidé qu’il se battrait de manière plus subtile. Avec les mots, les sentiments, les pensées des gens, les secrets. Et entre ses dons naturels, et la magie rouge, il ne voyait pas ce qui pouvait l’arrêter.
6 ans plus tôt, en printemps.
Le vent soufflait sur les deux jeunes gens, assis sur le muret, des victuailles volées aux cuisines posées sur une cape pliée entre eux. La jeune fille but une gorgée de sa coupe, avant de demander :
« Je comprends que tu veuilles quitter Poudlard pour devenir écuyer, afin d’obtenir le titre de chevalier, mais pourquoi Lord Dumbledore ? Je pourrais t’arranger quelqu’un d’autre. ». Un sourire lui fut offert en réponse par Kendrick, avant qu’il ne réplique :
« Je sais que tu pourrais, très chère princesse, mais justement, ce serait des gens de ta connaissance, et des connaissances de la famille McLloyd. Et si je veux vraiment être utile à ta famille, il me faut varier mes accointances. Or les Dumbledore ne se soucient pas du sang ou du milieu.». Il avala une bouchée puis continua :
« En prime, je le soupçonne de connaître ma véritable naissance, et je tiens à découvrir ce qu’il sait. ». La jeune fille, issue d’une famille anciennement royale, était l’une des rares à qui Kendrick avait parlé de sa parenté. Ils étaient semblables après tout. Calculateurs, manipulateurs, et tous deux privés de titres princiers qui auraient dû être le leur. Et puisque Kendrick ne pourrait jamais obtenir le sien, bâtard qu’il était, il n’avait rien contre affaiblir la famille de son père, au profit d’une autre qui pourrait lui offrir une place plus élevée dans la société sorcière. C’était dans ce but qu’il avait décidé de mettre ses dons au service des McLloyd, et d’espionner la famille royale et ses alliés. Si Sir John Dunn s’était un seul instant douté des desseins de Kendrick, ce dernier était certain qu’il serait intégré de force à l’armée et envoyé au front, quand bien même l’homme qui lui avait donné son nom l’aimait. Ses pensées furent interrompues par la voix de la jeune fille :
« Je comprends mieux. Très bien, mais ne t’avise pas de couper les ponts, tu as intérêt à me dire ce qui se passe là où tu vas ! ». Kendrick fit mine d’incliner la tête en une révérence, avant de continuer son repas à l’air libre.
3 ans plus tôt, en été.
La fête battait son plein, des rires éclatants un peu partout, de la musique berçant les conversations, des elfes de maison passant entre les convives pour délivrer des mets et des boissons. Officiellement tous étaient là pour féliciter la toute nouvelle fournée de chevaliers ayant tout récemment reçu leurs titres à la fin de leurs années en tant qu’écuyer, dans le cas de Kendrick, auprès de Lord Dumbledore. Bien évidemment, la plupart des gens étaient là pour profiter des festivités, sans se soucier le moins du monde des jeunes gens qui venaient de passer un cap de leur vie. Un jeune homme au regard bleuté se glissa vers une alcôve plus calme, près d’une fenêtre, ayant besoin de prendre un peu d’air. En tout cas en apparence, puisque derrière son air nonchalant, son attention était discrètement tournée vers deux hommes habillés de riches vêtements, qui discutaient à voix basse, un sort empêchant les inopportuns de les écouter. Un détail qui n’était pas un réel problème pour Kendrick qui lui écoutait les pensées non protégées de l’un des deux, qui semblait être le confident de l’autre lui racontant sa dernière mission diplomatique, quelque chose en rapport avec la France.
« Kendrick te voilà. » interrompit soudain la voix de Sir John Dunn. Le plus jeune se tourna vers son aîné en manquant de pousser un juron, se retenant de justesse, avant de répondre suavement :
« Père … Il semblerait que vous m’ayez trouvé. ». Le baronnet hocha sobrement la tête avant de dire, un rare sourire sur les lèvres :
« Je suis fier de toi mon fils, tous ne disent que du bien de toi et tes résultats. ». Des mots qui surprirent un peu le tout jeune chevalier, tant son père n’avait pas compris son choix de se mettre au service des Dumbledore, avec leur étrange réputation. Kendrick avait juste apprécié la façon dont cette famille avait de donner leur chance à tous, mais aussi d’être prêts à se salir les mains quand nécessaires. Avec un air plus sérieux, John Dunn continua, après avoir posé une main sur l’épaule de son héritier :
« Mais il te faudra être prudent, la guerre est bien différente de la réalité, et je ne veux pas te perdre bêtement. ». Kendrick le va un sourcil face à ce discours qui lui laissait des sentiments plus que mitigés. Une part de lui, une toute petite part, était touchée par la sincère tendresse qui émanait du nobliau, une inquiétude qui n’avait rien de feinte. Mais il était aussi en colère contre ce mensonge dans lequel son « père » se complaisait », mais aussi contre le fait qu’il semblait déjà avoir choisi ce que son « enfant » ferait de son avenir. Il avait la certitude voir son fils suivre ses pas, une certitude qui amusait aussi un peu Kendrick. Avec une inclinaison de la tête, celui-ci retorqua :
« Vous vous inquiétez trop, sir. Je devrais être relativement à l’abri à Poudlard. ». Un autre sourire orna le visage du baronnet alors qu’il s’exclama :
« Alors tu sais déjà où tu vas être affecté ! ». Kendrick retint une moue, et prétendit prendre un air navré :
« Non père, je ne rentre pas dans l’armée, en tout cas pas dans l’immédiat. J’ai d’abord prévu de perfectionner ma magie en retournant étudier là-bas. ». L’incompréhension se peignit sur la visage de John Dunn pendant de longues secondes puis il répliqua visiblement en colère :
« Mon fils notre devise est de protéger la royauté. Pas de passer le temps à rêvasser le nez dans les bouquins. ». Kendrick se pencha pour plonger son regard dans celui de son père avant d’expliquer :
« Père, notre devise dit également que nous devons le faire par tous les moyens, et si je ne doute pas que je ferais un bon soldat, il y a d’autres façons de protéger cette couronne, des façons que je pourrais apprendre à Poudlard. ». Une excuse, rien de plus, pour calmer le baronnet, car Kendrick se moquait bien de protéger la couronne, loin de là. Mais il n’avait pas besoin de faire du baronnet son ennemi après tout. Le silence s’étira un moment entre eux, puis Sir John Dunn de Binns admit :
« Tu n’as pas tort. Cela ne me convient guère, mais tu as le droit de choisir pour toi-même, mon fils. J’ai à faire, je dois te laisser. ». Après une accolade le nobliau s’éloigna, pour aller faire son rapport au roi comme l’appris Kendrick en lisant dans ses pensées. A propos de pensées, il se retourna, mais les deux hommes qu’ils espionnaient n’étaient plus en vue. Maudit Sir John Dunn ! Comme si ce n’était déjà pas horripilant de l’entendre dire « mon fils », il lui avait en plus ôté une chance d’obtenir des informations en or.
De nos jours.
Trois ans déjà qu’il était revenu à Poudlard contre l’avis de son père. Mais pas un seul instant Kendrick l’avait regretté. Comment aurait-il pu quand chaque jour il maitrisait de mieux en mieux sa magie ? Et quand chaque jour il découvrait de nouveaux secrets qu’il escomptait utiliser pour s’élever encore plus haut ? Il était conscient qu’un jour il devrait quitter ce qu’il avait fini par considérer sa maison, et l’idée lui brisait le cœur d’avance, mais ce jour n’était pas encore arrivé. Pas quand il était devenu l’assistant du maître des potions, rien de moins que l’un des fondateurs de l’école, et surtout le directeur de sa maison. Pas quand cette position privilégiée lui permettait de nouer des alliances utiles. Non cette année encore, il la passerait à Poudlard.