Un ménestrel… pas évident de demander un ménestrel. Tu avais demandé à une goule de jouer du luth mais les résultats s’étaient montrés désastreux, comme tu aurais dû t’attendre. Tu ignorais si Miss savait où la calèche allait l’emmener, car tu avais envoyé tes requêtes sur un ton vague et en mentionnant ton domaine pour attirer ceux qui aiment les piécettes.

En attendant, tu fais un peu de ménage… Pas que tu veuilles cacher la splendeur macabre de ton lieu de vie mais quelques malines araignées – d’une largeur peu naturelle – ont tissés sans relâche partout. Roland, ton goblin-zombie, s’est fait attraper dans l’une de ces toiles. Puis, les araignées et les goules se font une guerre sans relâche… bref tu dois gérer toute la ménagerie.

Toutefois, la sagesse te dicte d’adresser un problème à la fois. Premièrement, ces toiles épaisses qui habitent chaque racoin de l’intérieur et quelques passages à l’extérieur. Dieux soient loués la magie te permet de le faire sans te pencher. C’est que t’es plus tout jeune, alors qu’un morceau de toile s’accroche au bas de ta barbe grise.

Alors que tu finis de chasser l’une de ces fameuses araignées géantes de la zone du jardin, tu entends, grâce à tes sens aiguisés, la calèche arriver. Elle devrait te rejoindre dans deux minutes. Tu te brosses un peu la barbe par égard pour le répondant, dresse ton dos et attend devant le manoir.

Ah zut, te dis-tu lorsque tu aperçois la belle qui descend de la calèche. Certes l’odeur te semblait distinctement féminine – et un tu ne sais quoi qui te sonne quelques cloches – mais sur le moment, cette femme te semble si jeune et si petite que tu crains de lui faire peur. Tu espères que sa voix parviendra à la hauteur de son visage. « Bienvenue en mon humble domaine. Je vous remercie d’avoir répondu à ma requête. J’espère que le voyage ne fut pas trop tumultueux. » Du coin de l’œil, tu aperçois le goblin revenant – que tu as certes maquillé – descendre de la calèche. Tu fais signe à Flore de te suivre alors que tu te déplaces, avec tranquillité, vers le jardin. « Il va sans dire que vous êtes logé et nourris lorsque vous travaillez pour moi. Je ne crois pas aux vertus du travail au ventre vide. Vous serez payé le moment où vous voudrez partir. », précises-tu, en vieux bavard. « J’apprécie la musique mais je ne vous cacherais pas que je vous ai convoqué pour quelqu’un d’autre. » Tu désignes de ta main ton luxueux jardin aux plantes déchues, aux raretés inquiétantes et aux merveilles cachées. Là-bas, fleurs se mêlent aux ronces alors que le potager se fait fruit, légume et viande tout à la fois. Par ailleurs, une odeur de chair et de framboise se mêlent dans un étrange mariage. « Mes terres ne sont pas très fertiles. La maladie se répand vite chez les arbres ici. Néanmoins, c’est dans ce trou qu’on trouve quelques merveilles... sans parler de mon engrais, meilleur du royaume à ce que je sache. », te vantes-tu. « Hélas, les feuilles sont molles, les éclosions timides et je ne prévois pas une bonne récolte cette année. Or, tu pourrais renverser la tendance ou au moins prévenir quelques pertes. Peut-être que tout ce qu’elles voudraient c’est une petite chanson. Ça leur fait du bien. », admets-tu en scrutant le jardin. Tu ne ressens la présence d’aucune goule près. Tant mieux, tu ne voudrais pas qu’elle parte si tôt…

L’homme qui accompagnait la bardesse se montrait plutôt zélé. Or, tu ne te sens plus intimidé par les jeunes hommes depuis des centaines d’années, si que bien sa présence te laisse indifférent.

Tu contemples une dernière fois son jardin, paresseux et oisif dans ses pétales brunis. Quand elle te demande si elle peut commencer, tu hoches la tête avec lenteur. « Hm oui oui, quand vous voulez. » Tu avances de quelques pas vers l’entrée de derrière avant de t’arrêter. Tu as oublié un truc. « Ah j’oubliais. Si vous croisez une goule, ou deux… ne pas les nourrir s’il vous plaît… Évitez donc de jouer avec elles tout court si vous le voulez bien. Elles ont mauvais caractère depuis quelques semaines. » Bon, pour la première impression, tu repasseras. Toutefois, qui sait si l’idée sotte lui vient de nourrir les bestioles avec tu ne sais quoi.

Tu rentres à nouveau à l’intérieur du manoir, où Roland commence déjà à préparer le repas des invités. Quant à toi, demain tu te mets à la chasse au sanglier. Rien n’arrête la soif mais un gros animal lui te fera du bien. Ça te changera du goût des vaches.

Tu pénètres ton bureau au second étage, où tes sens parviennent à capturer la mélodie de la troubadour. Bien. Elle fait son travail comme convenu. Tu te convaincs que ça suffira à redonner un peu de tonus aux plantes… leur parler ayant manqué à l’encouragement et tout ton engrais, ta magie, ont échoués à motiver les végétaux.

Il fait encore jour. Tu t’es évité la peine des dangereux rayons solaires en portant ton immense chapeau. À l’intérieur, tu laisses ta tête respirer un peu et tu t’attelles à lire un grimoire avec une luminosité de vampire. Tu l’avais trouvé lors d’un voyage, il y a cinq mois. Tu as trouvé une de ces tours damnés aux pierres englouties par les vignes qu’aucun moldu n’a réussi à trouver. L’endroit était vide ; tu ignorais s’il appartenait à quelqu’un mais il t’a semblé que non. En bon bibliothécaire, tu as apporté ce qui semblait avoir le plus de valeur.

Malgré ta concentration qui se perd dans un travail de traduction, tu entends un bruit inhabituel… Une note étrange provenant des instruments de la jeune fille ou quelque chose de plus sinistre en provenance du jardin ? Tu lâches ton grimoire et tu descends avec une célérité vampirique.

Tu retournes à l’extérieur. Avant de rejoindre tes invités, tu croises une de ces fameuses goules rampantes parmi les herbes grasses de marécage. Tu fronces les yeux devant la chose dégarnie de sourcils et aux lèvres absentes. La goule crache au sol – à la manière d’un chat – avant de reculer plus loin. Les créatures du domaine savent quand éviter la fureur du maître vampire.

Sur cette mésaventure, tu accours tout de même vers tes invités. Tu préférerais qu’ils demeurent bien portant et qu’aucune de tes bestioles les aient importunés. Toutefois, tu notes que la mélodie te semble moins harmonieuse qu’à ce que des premières notes de la ménestrel… En réalité tu trouves cette musique inhabituelle, comme s’il manquait quelque chose ou que tu écoutais les premiers pas d’un débutant, à cause d’une maladresse que tu perçois dans le son. Or, la musique de Flore t’a plutôt plu au départ.

Tu reviens au jardin, observant la jeune demoiselle et son compagnon. Tu restes à l’écart quelques instants, tentant de comprendre. C’est en contemplant les cordes de l’instrument et le mouvement des doigts de la femme que tu crois avoir trouvé l’anomalie…

Ne jouerait-elle qu’avec deux doigts ? Ça dépasserait l’entendement, à moins que son luth possède quelques propriétés magiques. Tu t’approches avec lenteur. Tu observes mieux les frêles doigts blancs qui pendent le long de la main…

Quelque chose lui a cassé les doigts ? « Par Menvra que vous êtes-t-il arrivé à la main ? » Tu dévisages Ernesto, te demandant comment il a fait pour ignorer que sa compagne portait une pareille blessure. « Il ne fallait pas vous pousser à bout, jeune fille… Ah non je refuse que vous travailliez de la sorte. Toi, entoure dont ses doigts d’un tissu. », dis-tu à l’endroit d’Ernesto, ignorant de l’étrange lien qui les unit. « J'apporterai une potion ou deux et ma foi, des algues de lac mourant feront bien l’affaire. », affirmes-tu en caressant ta barbe grise.